dimanche 26 octobre 2014

Jean-Paul Gaultier – Ou quand la Mode se Démode



Gabrielle Chanel disait en son temps "La mode se démode, mais le style jamais". Sa maison a su perdurer au fil des décennies et des créateurs talentueux mettant en avant son héritage stylistique ; d’autres maisons malheureusement n’ont pas toujours pu en dire autant. C’est le cas récemment de la maison éponyme Jean-Paul Gautier, qui a tirée sa révérence (ou presque) au monde de la Mode, il y a quelques petites semaines lors d’un défilé « événement » durant la Fashion Week Parisienne après une trentaine d’année à exercer le beau (et cruel) métier de créateur de mode. Beau, sans conteste, car le styliste crée une esthétique, une élégance, une folie grisante que de riches clientes rêvent de porter, cruel, indéniablement aussi, car au fil des saisons, des années, voir des décennies pour les plus chanceux, la mode qui les a fait connaître et aimer parfois même du grand public, s’en est allée, et les clientes, infidèles porte-monnaies toujours en quête de sensations stylistiques nouvelles sont parties vers de nouvelles tendances.



Car au final, la vérité est la suivante derrière le joli discours ; les clientes Jean-Paul Gaultier ont (mal) vieillies, au même rythme que le créateur et celui-ci n’a pas su capter une nouvelle typologie de clientèle en quête d’une mode plus contemporaine, plus dans l’air du temps, gonflée d’accessoires désirables ou de it bag vendus aux 4 coins du globe. Au fil des années les différentes lignes commerciales de Jean-Paul Gaultier ont disparues les unes après les autres – de Gaultier Jeans, à Gaultier2 en passant par la ligne Soleil ou Monsieur, toutes ont périclitées au fil des années (au rythme de leurs licenciés disparus aussi – le géant italien Ittierre notamment) et n’ont su être rentables. Car c’est bien de cela qu’il s’agit – Rentabilité. Gros mot pour certains, Graal absolu pour d’autres, le concept de rentabilité est celui qui régît toute logique entrepreneuriale dans l’univers de la mode, surtout quand la marque n’est plus indépendante mais appartient à un fond d’investissement (comme celui qui a fait couler Christian Lacroix par exemple) ou à un groupe financier (LVMH, Kering, Staff International…). C’est dans ce dernier cas de figure que se trouvait Jean-Paul Gaultier, ayant vendu une partie de ses actions au groupe catalan Puig qui est devenu ainsi actionnaire majoritaire de la marque française en 2011, laissant cependant le créateur à la tête de la direction artistique de celle-ci.

En moins de trois ans, le groupe espagnol a fait ce que l’on pourrait appeler un très grand ménage de printemps dans les comptes de la société, se débarrassant de tout ce qu’elle ne jugeait pas rentable, fermant petit à petit les différents points de vente de la marque, ses boutiques en propres, les corners en grands magasin, mais aussi les différentes lignes de la marque, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’une - Jean-Paul Gaultier Femme, qui vient elle aussi de faire ses adieux. Le discours officiel est que Jean-Paul Gaultier est fatigué par le rythme incessant des collections et préfère se concentrer sur son travail pour la Haute Couture. Un bien joli discours parfaitement rodé effectivement. La réalité est pourtant tout autre. Car même si monsieur Gaultier est « fatigué » (et il est tout à fait possible de le comprendre), l’arrêt de la ligne de prêt-à-porter n’est pas la seule décision du créateur (ne soyons pas totalement naïf), mais bien une décision prise par un comité de direction et des actionnaires décidant de mettre fin à l’une des dépenses les plus importantes d’une marque – la création d’une collection de mode 2 à 4 fois par an. Car entre le personnel, les frais de prototypage et de production, la note peut très vite s’élever avec des centaines de milliers, voir des millions d’euros.

Mais pourquoi garder la Haute Couture alors me demanderez-vous ? Par succès commercial ? Peut être pas, car même si Jean-Paul Gaultier est l’un des rares créateurs à avoir encore aujourd’hui une vraie clientèle fidèle Haute Couture, composée essentiellement de riches jeunes (et moins jeunes) femmes du Golfe, la Haute Couture, et cela n’est un secret pour personne, n’est rentable dans aucune maison parisienne. Par humanisme total et complet envers un homme qui a d’une certaine façon révolutionné l’histoire de la mode ? Mmmmm ne soyez pas trop naïfs, nous l’avons déjà dit ! Mais pour la poule aux œufs d’or du secteur du « luxe » voyons ! Les parfums !!! Car lorsque Puig a racheté la société Jean-Paul Gaultier, celle-ci englobait également les parfums qui sont la vraie manne financière de toute marque ! Car à coup de 100 euros les 100ml d’alcool coloré, vendus par wagons entier dans toutes les parfumeries de la terre, inutile de dire que les parfums sont parmi les produits dérivés les plus rentables de ce secteur (avec les solaires hein…. parce que les montures en plastique à 5 « balles » produites à la chaine en Chine et revendues plusieurs centaines d’euros après une jolie campagne publicitaire, c’est quand même merveilleux comme concept) et que c’est grâce à cette source de revenue que de nombreuses marques survives de nos jours. Et qu’a à voir la Haute Couture dans l’histoire me demanderez-vous ? Elle est tout simplement l’image et la raison d’exister des parfums d’un créateur, surtout lorsque ceux-ci se hissent depuis des années dans le top des ventes de parfums masculin dans l’hexagone par exemple

© Jean-Paul Gaultier - Le Mâle
© Jean-Paul Gaultier - Classique

Pour résumer, le créateur crée et organise un somptueux défilé Haute Couture, des créations exceptionnelles pouvant couter plusieurs dizaines de milliers d’euros sont mises en avant par la presse et les magasines, celles-ci sont vues et désirées par des millions de personnes à travers le monde, qui ne peuvent malheureusement se les offrir, et qui par un joli truchement, se jettent sur tous les produits dérivés fabriqués sous licence et qui peuvent laisser espérer aux clients finaux, que grâce au pschitt magique d’un parfum X ou Y, ils pourront ainsi pénétrer dans l’univers du créateur. La réalité n’est malheureusement pas tout à fait celle-ci, comme l’avait rappelé de façon parfaitement cynique Karl Lagerfeld il y a quelques années en disant approximativement que « ce n’est pas parce qu’une femme porte un  rouge à lèvres Chanel, qu’elle porte du Chanel »… tout est dit à l’exception près que l’univers de la cosmétique fait gagner des millions aux marques de mode et que la raison d’être de ces gains est l’image mode/couture de celles-ci – d’ou le besoin de conserver un petit pied sur les podiums…

Reprenons cependant le cheminement initial de notre pensée, et revenons à notre sujet – la lente descente du style Gaultier, marquée il est vrai par une désertification de la clientèle de ses boutiques et une baisse de vente des collections de celui-ci qu’il serait impossible de nier. La marque, à l’image du cycle de toute vie, nait, grandit, murit, et malheureusement meurt aussi. Et Gaultier en est le parfait exemple. Née dans le tourbillon merveilleux des années 80 ou tout semblait possible et ou les clientes étaient prêtes à tout, la marque Jean Paul Gaultier, a donnée une force incroyable aux femmes, à l’image d’un Yves Saint Laurent contemporain ou d’une Gabrielle Chanel punk, leur a redonné à nouveau les codes masculins et un pouvoir sexuel fort face à ceux-ci. Du jean, au pantalon, en passant par le trench, la marinière et le fameux corset conique qui aura fait de Gaultier une célébrité mondialement connue, le créateur français aura marqué indéniablement l’esprit de son temps.

© Jean-Paul Gaultier - Madonna 90's
© Jean-Paul Gaultier - Madonna 90's

Malheureusement, ces dernières saisons, presque ces dernières années, les collections se faisaient de plus en plus décevantes au fil des défilés. Mêmes codes stylistiques revisités sans cesse, voir resucés inexorablement, même esprit un peu 80’s, un peu 90’s plus vraiment dans l’air du temps, même « Star Strat’ » éculées défilé après défilé ou une célébrité (plus ou moins dépassée) « surprise » fait son apparition lors du final, chantant, dansant, tombant, s’esclaffant… Et quand enfin, Jean-Paul Gaultier, se veut dans une certaine actualité, il prend pour égérie des personnalités médiatiques douteuses venant des programmes de téléréalité de France et de Navarre… Ainsi, ont défilé pour lui, les Loana, Steevy et autre Nabilla…. Navrant… Voir gênant…. Gênant d’assister au spectacle de quelqu’un qui ruine sa carrière et son image sans se rendre compte de ce qu’il commet, gênant de devoir assister à l’association de personnalité si quelconque avec un univers et un savoir faire si précieux, gênant de voir réunis dans un douteux mélange la culture et l’inculture, gênant enfin, de voir au fil des saisons la tombée en disgrâce d’un homme qui avait pourtant su révolutionner le monde de la mode et lui apporter cette touche d‘impertinence des faubourgs parisiens et de ses néo titis. Gênant au point d’avoir espéré au fil des saisons voir ce massacre s’arrêter et ne plus assister à une nouvelle déception à chaque défilé.

© Loana & Steevy pour Jean-Paul Gaultier
© Nabilla pour Jean-Paul Gaultier

C’est maintenant chose faite, celui qu’une grande partie du monde considère comme l’un des couturiers les plus important de sa génération (et qui l’est sans nul doute), arrête son travail et se consacre à sa passion première – celle de la couture au sens noble du terme. Pour clôturer ces presque 30 ans de carrière, Jean Paul Gaultier a ainsi organisé un défilé événement au Grand Rex autour d’une sélection de thèmes pour le moins populaires voir très franchouillard – Ainsi, Miss France, le Tour de France Cycliste, (l’élégance innée..) les femmes de footballeur, l’univers du Catch et les rédactrices de Mode les plus célèbres, se sont gentiment mélangés sur une scène transformée pour l’occasion en podium d’élection Miss France. Clownesque.

© Jean-Paul Gaultier - SS15
© Jean-Paul Gaultier - SS15

Veste de costume asymétrique et combinaison à rayures banquier, chapeau à larges bords, Geneviève de Fontenay était sans conteste présente sur scène dès le début du défilé, symbolisée entre autre par l'actrice espagnole Rossy de Palma se faisant passer pour "Madame de Palmay", tout comme Miss France 2009, Chloé Mortaud, élisant dans un joyeux désordre, la mannequin Coco Rocha Miss Jean Paul Gaultier, sous le regard (bienveillant ?) des plus grandes critiques de mode (reconnaissable par leurs coiffures) - la rousse Grace Coddington, la blonde Franca Sozzani, la brune à houppette Suzy Menkes, sans oublier Carine Roitfeld, Babeth Djian ou encore Emmanuelle Alt. 

© Jean-Paul Gaultier - SS15
© Jean-Paul Gaultier - SS15
© Jean-Paul Gaultier - SS15

Inutile de passer en revue les tenues de catcheuse américaine, ou les tenues de maillot jaune du tour de France revisitées ou encore l’hommage à Yvette Horner, le tout sur la bande son du générique de l'émission de Michel Drucker - Champs-Elysées, intéressons nous directement au final de celui-ci, et au déshabillé calamiteux de Rossy de Palma en body corset à seins coniques (trop petit), ne dévoilant que trop de choses d’une intimité dont on se serait volontiers passé de connaître les détails. Gênant ! Gênant d’autant plus que la nudité en rien ne nous choque, au contraire, mais qu’il est inadmissible de jouer autant avec l’image de quelqu’un en envoyant à ce point au casse pipe stylistique une femme dans une pièce de lingerie trop étroite pour elle et dont absolument tout déborde… Les images parlent d’elles-mêmes…

© Jean-Paul Gaultier - SS15
© Jean-Paul Gaultier - SS15
© Jean-Paul Gaultier - SS15
Un grand cirque coloré donc plus proche de la fête privée que du défilé d’une maison de mode, et qui à notre sens ne mets malheureusement pas en valeur le travail effectué par des centaines de personnes au fil des dizaines d’années d’existence de la marque, ni en exergue le travail de création d’un grand homme de la mode française dont les références et l’univers auront toujours une petite place au fond de chacun d’entre nous. Dommage… C’est le seul mot que j’ai envie de dire, accompagné sans doute un Au revoir…. Et d’un merci….

A.

lundi 6 octobre 2014

Paris Fashion Week SS15 – Géométrie (In)Variable



Après New York, Londres et Milan, la Fashion Week revient à Paris et nous donne un véritable cours de mathématique sur les podiums. Carreaux, cercles, trapèzes, ou encore rayures linéaires, c’est à qui prouvera le mieux à coups de ciseaux et de mètres de tissus son amour des théorèmes géométriques. Loin de déplaire à Pythagore ou à Thalès, designers et créateurs de mode nous font réviser de façon rigoureuse et méthodique nos leçons algorithmiques. Silence. Préparez vos plumes et vos cahiers !

Rayures

A la base de tout, est la ligne. Ligne droite, pure, rassurante, elle commence tout dessin, toute réflexion aussi. Et loin de se contenter d’une seule, les créateurs ont décidés de jouer avec, de les multiplier, de les détourner, de les transformer. Rayures XS, ultra fines, presque fondues dans le tissu - comme les blouses en mousseline de soie effet marinière chez Anthony Vaccarello - ou au contraire XL, volontairement exagérées – comme chez Cédric Charlier, en cuir tressé pour la dernière collection du styliste Christophe Lemaire pour la maison Hermès, en mousseline de soie graphique et chic chez Givenchy ou encore chez Sacai qui associe l’esprit marinière aux dentelles et guipures romantiques  - les deux styles cohabitent et se complètent.

 © Anthony Vaccarello SS15
© Sacai SS15
© Cédric Charlier SS15 
© Hermès SS15

Sobres en blanc et noir chez certains, elles deviennent carrément ultra colorées et pop dans les collections d’autres créateurs - Jacquemus, Dries Van Noten, Balmain, Alina German, Maxime Simoens.

Dries Van Noten SS15                      Aina German SS15                          Jacquemus SS15


Travaillée à l’horizontal le plus souvent, on retrouve également le principe de rayures, travaillé dans une idée de verticalité très prononcée – Balmain, Carven, Paco Rabanne, avec une touche masculine de tayloring chez Kenzo.

© Carven SS15
© Paco Rabanne SS15
© Kenzo SS15
© Balmain SS15

Enfin, pour les puristes de la ligne, le tissu lui même se fait ligne, dans son tombé, dans sa construction, se transformant en de délicats jeux de plissés, travaillés à la verticales, en total look ou en superpositions aux accents couture, allongeant indéniablement les silhouettes, transformant les corps en vestales moderne, dévoués au Dieu Sportswear – Vionnet, Yang Li, Gosia Baczynska

     Yang Li SS15                            Vionnet SS15                                Gosia Baczynska SS15


Carreaux

Une fois que la ligne est dessinée, de façon horizontale ou verticale, il est temps de la doubler de son opposer et de dessiner des carreaux, jouant sur les jeux de lignes et de couleurs. Petits, grands, simples ou complexes, les carreaux (pas toujours carrés), parfois proches du losange, sont la seconde étape de notre leçon de géométrie stylistique.

© Gareth Pugh SS15
© Gareth Pugh SS15
© Tsumori Chisato SS15

Arlequins ultra moderne chez Gareth Pugh nous faisant penser aux œuvres de Picasso ou de Schiaparelli, ou version Bucheron ultra couture en superposition sur des mousselines de soie chez Yang Li ou Paco Rabanne, le carreau s’associe le plus souvent à des tons neutres, blanc ou noir, et quelques fois à des nuances intenses comme chez Tsumori Chisato.

Paco Rabanne SS15                           Yang Li SS15                                         Yang Li SS15


Carreau minimal enfin, celui qui est simplement découpé dans le tissu, à vif, presque bord franc, et qui impose par sa simplicité de ligne – Yang Li - ou maximal, composant toute la tenue, travaillé comme chez Balmain sur des cuirs esprit Mondrian ou des soie brodées en all over, structurant une silhouettes en larges bandes de soie ivoire chez Céline, ou encore en détail de cote de maille métallique rectangulaire associé au tweed chez Chanel – effet visuel spectaculaire garantie.


Chanel SS15                                 Céline SS15                                         Balmain SS15

Trapèzes

Encore un peu plus loin dans la conceptualisation, le carré initial s’affine vers le haut et s’élargit vers le bas pour jouer sur les volumes. Terme géométrique pour parler de la célèbre A-line chère aux créateurs de mode se définissant par une carrure d’épaule étroite, un volume de poitrine souvent petit, jouant sur le coté menu et gracile du haut du buste, contrastant avec un volume presque exagéré sur le bas des vêtements.

© Stella McCartney SS15
© Guy Laroche SS15
Des robes virginales en coton blanc de Christophe Lemaire, en soie noire de Stella McCartney ou en organza couleur cendre de Rick Owens, aux robes du soir magistrales de Gareth Pugh, en passant par les manteaux en cuir de Carven, ou en laine aux accents sport de Guy Laroche toutes les pièces du vestiaire de l’été prochain se prêtent au jeu du trapèze.

Christophe Lemaire SS15                           Rick Owens SS15                             Carven SS15


A-line ne signifie pas forcement dépouillement, car si la ligne est pure, les tissus utilisés et les détails de coupe peuvent être quant à eux d’une opulence discrète. C’est du moins ce que nous prouve Alessandro Dell'Acqua pour la collection Rochas, avec des jeux de transparences sur des dentelles, des mousselines et des organza très couture ou encore Nicolas Ghesquière pour sa très belle nouvelle collection pour Louis Vuitton.

Louis Vuitton SS15                                 Rochas SS15                                        Rochas SS15


Le penseur Blaise Pascal disait en son temps, « Il y a deux sortes d’esprit : l’esprit de géométrie et l’esprit de finesse », les créateurs de mode parisiens nous on semble-t-il prouvé qu’esprit mathématique et finesse d’esprit pouvaient parfois faire bon ménage. Ami(e)s de la mode, à vos algorithmes ! ;-)

A.