Les Médusés au Louvre – un parcours chorégraphique de Damien Jalet
Le Louvre a toujours eu une place à part dans mon
cœur. Berceau de l’Art français,
temple de tous les superlatifs, lieu de recueillement de mes premières
découvertes culturelles, cadre privilégié de ma vie étudiante à l’époque ou je
fréquentais les bancs de l’école qui en porte fièrement le nom, je ne peux me
lasser de la beauté majestueuse de son cadre et de la richesse de ses
collections. Grande Dame ayant fêtée son bicentenaire depuis longtemps déjà, le Louvre ne cesse de créer l’événement
quant à son abondante actualité culturelle. Doté il y a quelques mois à
peine d’un nouveau département des Arts Islamiques mettant les aspects
didactiques et interactifs au cœur d’une toute nouvelle muséographie, le Louvre
a décidé, une fois de plus, d’inviter l’un des Arts les plus éphémères qui soit
à l’intérieur de ses murs – la Danse.
Et ce n'est
pas la première fois que « Terpsichore » y prend ses quartiers
d'hiver. Après les succès des Cartes Blanches
données aux chorégraphes Jean-Claude Gallotta ou encore à Carolyn Carlson,
c’est au tour de Damien Jalet de
livrer sa vision de la danse au travers d’un dialogue riche et moderne mêlant
sculptures classiques et danse contemporaine lors de trois nocturnes exceptionnelles. Le destin faisant parfois bien les
choses, nous avons ainsi eu la chance d’assister, au hasard de l’une de nos
pérégrinations artistique du vendredi soir au Louvre, à l’une de nos plus
intéressantes et émouvantes expérience de Danse Contemporaine – Les
Médusés !
Et médusé je le fus, fasciné par le pouvoir hypnotique du spectacle
qu’il nous a été donné de voir. Musique,
chants traditionnels, danse contemporaine, sculpture et architecture, le tout
proposé en un parcours chorégraphique intelligent et espiègle dans les
principales salles et cours du musée dédiées à la sculpture de l’Antiquité
Perse jusqu’à la fin du 19ème siècle – « Je voulais rester
dans les salles de sculptures, très chargées de thèmes mythologiques, peuplées
d'animaux et de dieux, mes obsessions personnelles. Au premier coup d'œil, les
sculptures françaises sont la quintessence du classicisme aristocratique, mais
elles révèlent en fait une incroyable sauvagerie » explique au journal Le Monde Damien Jalet. Illusion
d’optique ou réalité, les statues
prennent vie au cœur du Louvreet
livrent leurs secrets aux visiteurs intrigués par ce spectacle inattendu. Entouré
de douze danseurs de la compagnie Eastman et de quinze étudiants du
conservatoire de danse d'Anvers, Damien Jalet propose neuf histoires, neuf
œuvres revisitées, neuf chorégraphies
entraînant le spectateur dans un voyage à travers l’histoire de l’art, des
collections du plus grand musée au monde et de la danse entre références
classiques et modernité formelle. « A
l’image de Méduse qui pétrifie celui qui croise son regard, je
voudrais interrompre la marche du visiteur et le suspendre dans l’éternité des œuvres.
Intermédiaires entre deux mondes, les danseurs et les musiciens se font
passeurs de l'énergie intrinsèque des sculptures ; les rôles d'envoutés et
d'envouteurs s'inversent alors comme dans les rituels animistes » raconte Damien Jalet.
Au fil de nos découvertes d’un
soir, quelques-uns de nos coups de cœur.
Les Médusées – Sous l’immense verrière surplombant la majestueuse
Cours Puget, tout d’abord attirés par les premières notes ensorcelantes interprétées
en live par le groupe Winter Family,
nous apercevons trois figures féminines. Corps
dénudés, teint blanc, toges antiques revisitées par le talent du créateur
Bernard Wilhelm, le trio féminin s’inspire de la nature ensorceleuse des
nymphes de Marly. Lentement, telle une incantation, une polyphonie prend place
et nous hypnotise par sa rythmique complexe. Les trois nymphes, sculptures vivantes que l’on penserait tout
droit sorties d’un bas-relief antique, livrent une danse saccadée où chaque
mouvement semble vouloir briser un envoûtement, et chaque regard se charge d’un
pouvoir pétrificateur. Références aux poses des figures peintes sur les
fresques grecques, flashback, les images d’un Nijinski sensuel cassant les
codes de la danse classique dans le Prélude
à l’Après-Midi d’un Faune nous reviennent en tête. Près d’un siècle plus
tard, les trois personnages secondaires féminins du Faune prennent les devant et sont au centre d’une chorégraphie
mêlant mouvements d’ensemble et arrêts saccadés structurant la danse de ces
pauses antiques.
Dédale – Pendant masculin de l’œuvre Les Médusées, on retrouve au niveau supérieur de la Cours Puget,
sans doute l’une des chorégraphies les plus surprenantes de prime abord. Juché
sur un piédestal au format XL, un trio
masculin vêtu de latex, inspiré du mythe de Thésée, héros triomphant du Minotaure
grâce au fil d’Ariane, se produit à quelques centimètres du public. A
l’image du labyrinthe, crée par Dédale pour enfermer le Minotaure, le trio suggère la perte de soi dans
l’autre et évoque l’indissociabilité de l’homme de sa part animale, qui le
guide et le domine. Formant une immense créature polymorphique, les corps se mêlent, s’enchevêtrent et se
démêlent sans pour autant jamais se séparer, créant des figures faisant
indéniablement référence à la statuaire mythologique du Louvre. Cavalier
dominant la Bête, Minotaure terrassant le héros, ou même poses inspirées du Radeau de la Méduse, tant d’œuvres
viennent à l’esprit et se glissent inconsciemment à la lutte esthétisante en
latex noir entre humanité et animalité présentée. N’est ce pas d’ailleurs le
combat qui est livré de façon quotidienne en chacun de nous et dont nous
sortons plus ou moins victorieux ?... la question reste ouverte.
Venari – Seule œuvre chorégraphiée mais également interprétée par Damien Jalet, Venari (nom désignant la chasse en
latin), solo masculin inspiré du mythe
d’Actéon, personnage antique métamorphosé en cerf par Diane, déesse de la
Chasse après l’avoir surprise au bain, joue sur l’idée de transgression humaine, de transformation et de la dualité
coupable/victime. Sous le
regard des Nymphes de Diane, le danseur, au bord de la folie, exécute une chorégraphie nerveuse aux accents de
délire où il devient à la fois chasseur et chassé. Tourbillonnant,
haletant, prisonnier de sa nouvelle condition et de sa funeste destinée, le
cerf/chasseur poursuis sa fuite éperdue au bout de ses forces, et meurt.
« L’énergie et le mouvement contenus dans ces
statues ont été ma principale source d’inspiration ; elles dégagent un
magnétisme qui me fascine et expriment une tension non résolue entre humanité,
animalité et divinité. Je souhaiterais par la danse libérer ces figures
minérales et, pour cela, j’ai demandé aux danseurs de s'engager complètement
dans des chorégraphies parfois très physiques » ajoute Damien Jalet.
Sin – Cours Marly, changement d’époque et de civilisation, c’est
grâce à la voix envoutante et aux airs sublimes aux parfum d’Orient lointain
interprétés par Sattar et Mahabub Khan
que l’on découvre la chorégraphie de Sin.
Une danse organique où un duo
masculin/féminin, voit un couple d'interprètes ne plus former qu'un seul corps dans une
gestuelle à l'érotisme diffus. Les corps omniprésent s’attirent, s’enchevêtrent,
combattent et finalement se repoussent. Inspiré
du mythe du couple primordial, ce duo viscéral, symbolise la séparation de
l’être unifié et le rapport du pouvoir qui en découle. Quête poignante de
liberté, d’individualité et de possession, le résultat qui en découle est sans
appel – la ruine et la souffrance.
Par-dessus tête – Sans doute chorégraphie qui incite de prime abord
le plus au sourire, on y découvre, au
milieu des sculptures décapitées du souverain sumérien Gudea, le danseur japonais
Kazutomi Kozubi dont le crâne grimé, fait ressurgir l’esprit d’un roi qui a
perdu la tête. Personnage antique aux traits des plus sympathiques pour les
néophytes, les « Gudeas » sont l’un des mystères de la statuaire
Perse et l’un des personnages m’ayant le plus marqué lors de mon passage sur
les bancs de l’amphithéâtre Rohan. Cruels
et sanguinaires contrairement aux traits bienveillants de leurs
représentations, les Princes de Lagash, suite sans doute à une révolte, ont
été renversés, et avec eux leurs représentations terrestres mutilées. Clin d’œil de Damien Jalet à l’histoire
tortueuse de cette dynastie, la réincarnation faussement sympathique de
Gudea amuse et fait sourire, jusqu’au moment plus inquiétant ou il vise
l’auditoire et menace de leur « couper la tête ».
Corps bercé par la folie de plusieurs générations de princes meurtriers, la danse se termine dans une convulsion à mi-chemin entre rédemption et piété, à même le sol, face aux bustes calmes de ces prédécesseurs. Envouté autant par la prestation physique et terriblement novatrice de Kazutomi Kozubi, on est tout autant bercé par la langoureuse voix de Sofyann ben Youssef et de ses chants Perses nous emportant loin, sur les confins du fleuve Tigre, devant les portes du palais de Gudea dans l’antique Sumer.
« Le temps de ces nocturnes, je rêve d’un
musée devenu labyrinthe où les visiteurs déambulent avec pour fil d'Ariane une
succession d'images orphiques, physiques et sonores, qui résonnent avec les
salles du Louvre, et avec l’intimité de chacun » - paris réussi que propose
Damien Jalet pour encore une représentation
exceptionnelle le vendredi 22 février de 19h à 21h15 dans le cadre des Cartes
Blanches du Musée du Louvre. Outre ces cinq chorégraphies à l’intensité et
à la force d’expression que quelques mots et quelques images ne pourrons pas
totalement vous retranscrire, quatre autres tableaux vous ferons voyager au
cœur du Louvre et de ses collections de sculptures classiques. De la cours
Marly, à la cours Puget en passant par les merveilleuses fondations de l’époque
Louis-Philippe c’est un véritable
parcours à travers le temps et l’espace que nous propose Damien Jalet. Un
dialogue chorégraphique entre différentes formes d’Art qui incite à la rêverie
et à l’introspection. Evénement rare à la beauté éphémère, rappelons par
ailleurs que l’entrée au Louvre reste gratuite pour l’ensemble des jeunes de
moins de 26 ans. Il serait dommage de ne pas profiter une dernière fois de ce
spectacle, en tout cas, pour notre part,
nous serons là, au premier rang, heureux d’avoir l’occasion de tomber une fois
de plus sous le charme des tableaux chorégraphiques de Damien Jalet.
Mais avant cela, laissons le dernier mot à Damien
Jalet, qui mieux que personne pourra en quelques mots résumer ce dialogue
riches aux facettes multiples. «
Je conçois la danse comme un art très
ancien, plus ancien que toute référence académique ou folklorique à laquelle
elle est très souvent associée, un art premier, antique dans le sens archaïque
du terme.C’est
peut-être l'art dont il est le plus difficile de rendre compte dans un musée,
tant sa manifestation semble condamnée à l'éphémère, alors que la sculpture
incarne pour moi la notion d’éternité. Mis en relation, ces deux mondes n’en
résonnent que plus fortement. Je vois la danse comme un art sculptural et la
sculpture comme un art chorégraphique. D'un côté le mouvement se fige dans la
pierre, de l'autre il traverse la peau, les muscles, les os »
Bonjour Alice, mille mercis pour ces très aimables commentaires. Je suis ravi que le blog vous plaise et que vous découvriez mille choses au fil de nos articles. J'espère qu'il en sera de même à l'avenir. A très bientôt. A.
Tes reportages sont sensationnels... J'apprends beaucoup. BRAVO.
RépondreSupprimerBonjour Alice, mille mercis pour ces très aimables commentaires. Je suis ravi que le blog vous plaise et que vous découvriez mille choses au fil de nos articles. J'espère qu'il en sera de même à l'avenir. A très bientôt. A.
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