Evènement artistique de ce printemps,
le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, consacre une rétrospective de
grande envergure (près de 250 oeuvres réalisées sur toile, sur bâche ou dans le
métro) à l’artiste américain Keith Haring (1958 – 1990), mettant en avant l’importance
de son œuvre ayant profondément marquée l’art de la fin des années 80 et la fin
du 20ème siècle, en mettant plus particulièrement l’accent sur la
nature profondément « politique » de sa démarche tout au long de sa carrière. Style incomparable se rapprochant d’une
certaine figuration naïve, répertoire de signes emblématiques tel un alphabet
hyéroglyphique contemporain, proche du mouvement
Pop Art (ami d’Andy Warhol et de Jean-Michel Basquiat) et de la contre culture
New-Yorkaise, Keith Haring fut l’un des artistes les plus célébrés, mais
aussi les plus décriés de son époque.
© Keint Haring - The Political Line |
Virtuose du dessin, qu’il pratiquait depuis l’enfance, issu
d’un environnement familial créatif (père dessinant entre autre des bandes
dessinées), Keith Haring a étudié à la School of Visual Arts de New York, la
sémiotique et l’importance du signe dans les sciences du langue non verbal et
comprit très rapidement l’impact que pouvait avoir un symbole. Génie de la
ligne, travailleur incessant et rapide, capable de réaliser des œuvres
monumentales en moins d’une journée, et sans jamais corriger ses traits, il a
énormément produit, utilisant de multiples supports subversifs (notamment la
toile de bâche pour son aspect pauvre, loin de la noblesse qu’il considérait
comme surfaite d’une toile vierge) pour véhiculer ses messages et ses idées
politiques.
Utilisant délibérément la rue et les espaces publics pour
s’adresser au plus grand nombre, il n’a cessé de lutter tout au long de sa vie,
contre les diktats d’une société conservatrice et ultra capitaliste dans
laquelle il ne se reconnaissait pas. Décriant entre autre le racisme, la menace
de guerre atomique, la destruction de l’environnement, l’homophobie et à la fin
de sa vie l’épidémie du sida dont il décède, comme une partie importante de la
communauté arty New-Yorkaise des années 80, non sans avoir créé une fondation
caritative au profit de la lutte contre la maladie.
Le parcours de l’exposition, organisé de manière thématique et
chronologique, débute par l’accrochage de ses premiers travaux et rend compte
de ses prises de position critiques envers la société.
L’individu contre l’État
Dès ses premières oeuvres Keith Haring s’interesse et s’oppose
au pouvoir Etatique et défend l’individualité et la liberté de chacun. Chiens
aboyant, personnages déchiquetés par des mains géantes, robots marquant ses victimes
d’une croix, Haring dénonce à travers certaines de ses oeuvres les groupes
stéréotypés et classifiés par l’Etat, et dénonce aussi les êtres qui oublient
leur propre individualité.
© Keint Haring - The Political Line |
Capitalisme
Radical dans son rapport au monde consumériste, Keith Haring,
dans la continuité du mouvement Pop Art, donne à voir une critique acerbe du
capitalisme et de la société de consommation. Représentation de l’hégémonie des
États-Unis et du Dollar roi, caricature du personnage phare de la Culture
impérialiste américaine, Mickey Mouse se confond avec les traits d’Andy Warhol.
La critique a pourtant ses limites car en 1986, Keith Haring ouvre un « Pop
Shop » sur Broadway où tous les objets vendus (t-shirts, casquettes…) sont
commercialisés à l’effigie de ses oeuvres, reprenant l’idée de l’art accessible
à tous, mais sera critiqué par de nombreux spécialistes du monde de l’art qui ont
vu ici sur déviance commerciale de son travail.
© Keint Haring - The Political Line |
Religion
Ayant grandi dans un milieu chrétien traditionnel, Keith Haring
considère avec beaucoup de recul et un esprit critique l’histoire et notamment
celle de la colonisation et de la religion. Haring pensait d’ailleurs qu’ « une grande partie du mal qui se produit dans
le monde est causée au nom du bien (religion, faux prophètes, artistes de
pacotille, hommes politiques, businessmen…). » Dans ses dessins et
peintures, des croix pénètrent les corps, se collent aux cerveaux ; Haring
crée dans ses oeuvres tardives des scènes dramatiques dans lesquelles l’Église
et ses dogmes sont dénoncés comme étant nocifs pour la société et l’individu.
Néanmoins tout en luttant contre toutes les « religions de contrôle », Haring
respecte la foi individuelle.
© Keint Haring - The Political Line |
Mass Media
Dans ses premières oeuvres Keith Haring évoque à plusieurs
reprises la menace de la substitution de notre réalité par les nouvelles
technologies que sont les écrans (télévision et ordinateur). Il s’inquiète par
ailleurs du danger qui pèse sur la créativité et l’individualité face à
l’hégémonie technologique, remplacant parfois dans ses peintures et ses dessins
le cerveau, par la télévision et les écrans d’ordinateur, à l’intérieur
desquels, il peint les thématiques qui le préoccupent.
Racisme
Révolté par toutes les discriminations dans un monde pour lui
empreint de racisme et d’oppression (colonisation, guerre du Vietnam), l’homme
blanc « mauvais » représente pour Haring le pillage, l’esclavage, la cause de
la pauvreté. Dès son arrivée à New York il est fasciné par la diversité des
populations, il rencontre et fréquente des minorités qui l’attirent et
desquelles il se sent proche. Tout au long de sa carrière Haring s’est ainsi
attaqué aux problématiques sociopolitiques et a produit un art fortement
engagé. En 1985 à la manifestation contre l'apartheid dans Central Park, il a
d’ailleurs fait imprimer en 20 000 exemplaires un poster Free South Africa
qu’il distribue lui même.
© Keint Haring - The Political Line |
Dernières oeuvres. Sexe, sida et
mort
Lorsqu’il arrive à New York pour étudier, Haring assume pleinement
son homosexualité et vit une sexualité débridée qui transparaît dans ses
oeuvres où le sexe a une part très importante. Lorsque le virus du sida se
propage dans les années 80, la lutte contre cette maladie deviendra sa bataille
la plus personnelle ; dès 1985, la thématique du sida apparaît, comme dans son
autoportrait aux pois rouges. Il s’engage en réalisant des affiches en faveur
de rapports sexuels protégés, afin d’informer sur cette épidémie. Il
personnifie le virus sous la forme d’un énorme spermatozoïde à cornes dans une
série de dessins et de peintures. Touché lui-même par le virus (il apprend
qu’il est contaminé en 1988), il décède le 16 février 1990 à New York.
© Keint Haring - The Political Line |
Pour finaliser en grand le parcours artistique riche et
passionnant de Keith Haring, direction le CENTQUATRE pour
découvrir les oeuvres grand format de l’artiste – bâches et peintures XL sur
les thèmes de la religion, de la menace nucléraire et du Sida mais aussi plusieurs
sculptures monumentales comme Head Through Belly et King and Queen
– ou encore la pièce monumentale des Dix Commandements (dix panneaux de
sept mètres de haut) fait l’objet d’un accrochage spectaculaire. Enfin, dernière étape obligé, la
reconstitution du Pop Shop original réalisé dans un container à Tokyo en 1988. Immanquable !
Passionné par la vitalité et la force de l’être humain, Keith
Haring développe au fil de son travail un alphabet artistique qui lui est
propre et dont les codes ont traversés les décennies, véhiculant des idées
toujours en grande partie d’actualité. Ses « subway drawings » réalisés dans le
métro qui l’ont rapidement fait connaître à une époque ou le « Street
Art » ne portait pas encore son nom où les graffitis étaient considerés
commes une violation de la loi ; ses peintures, ses dessins et sculptures,
sont encore de nos jours porteurs de messages fort de justice sociale, de
liberté individuelle et de changement. Icône du Pop art, artiste subversif
et militant, Keith Haring a multiplié les engagements tout au long de sa vie,
animé par une envie de transformer le monde de façon positive vers plus de
liberté et d’égalité pour tous.
A.
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