« Encore une
exposition de marque dans un espace culturel ? » allez vous protester
en voyant ce titre. C’est un peu, il est vrai, la tendance muséographique du
moment, qui laisserait à penser que plus une seule exposition n’est capable
d’attirer du monde sans avoir estampillée le label « mode » ou
« créateur ». Et c’est d’ailleurs avec cet a priori que nous sommes
allés découvrir (enfin) la rétrospective
Cartier au Grand Palais. A priori que, nous devons avoué, a disparu dès la
première salle franchit. Car même si l’exposition met bien évidemment en scène
la marque en tant que référence de l’univers de la joaillerie parisienne, elle
n’a pas le mauvais goût de tomber dans l’écueil purement commercial que nous aurions pu attendre
d’un tel événement, et se focalise sur le
savoir faire incroyable de la maison, son histoire et l’évolution de son style
au fil des décennies et des commandes passées par ses plus illustres
client(e)s. Histoire complexe et riche finalement peu connue, éclipsée
peut-être par la célébrité du nom, gravé en lettre d’or sur les devantures des
plus belles avenues du monde et par l’éclat des diamants qui ici se dévoilent
par milliers.
Par milliers, et
encore, j’ai peur que le chiffre soit approximatif dans cette exposition aux dimensions colossales ou tous les superlatifs sont
permis. Colossale par le lieu au cœur du Salon d’Honneur qui a rouvert au
public il y a peu, colossale par la mise en scène féerique qui recouvre les
plafonds de l’immense salon d’un jeu de lumières et d’images projetées, sans
cesse en mouvement et changeantes, mais aussi colossale par son aspect
muséographique. Pas moins de 600 objets
présentés (bijoux, joaillerie, montres, pendules ou encore objets usuels et
décoratifs), parfois accompagnés pertinemment de témoins de la vie artistique
et des goûts de leur temps : vêtements, accessoires, mobilier, tableaux,
photos, gravures, et revues de mode. Près de 200 dessins
préparatoires, de nombreux documents d’archives (dont des cahiers d’idées,
des photos, des plâtres), achèvent d’illustrer les coulisses de la création et
nous font pénétrer un peu plus dans l’univers créatif de l’une des plus
prestigieuses maisons de l’histoire des arts décoratifs et de la joaillerie du
XXème siècle.
La réputation de la
maison Cartier, développé par Louis-François Cartier au milieu du 19ème
siècle, devenu dès le Second Empire "joaillier des rois", n’est
pas à mettre en doute. Dès la première salle, surprises et
émerveillement sont au rendez-vous. Du célèbre
saphir bleu de près de 500 carats, d’origine sri-lankaise, (l’un des plus gros
taillés jamais répertoriés) acheté en 1921
par la Reine Marie de Roumanie, à la vitrine renfermant une exceptionnelle collection de diadèmes
en diamants taillés, virtuosités suprêmes des ateliers et signes des orgueils
élevés d’une clientèle titrée, ayant coiffés quelques unes des figures historiques
les plus importantes du début du siècle dernier, la magie opère et nous
sommes transporté quasi immédiatement dans un univers onirique dans lequel nous
nous laissons guider avec délice.
Style dit
"guirlande" à la fin du 19ème siècle, au nom
des plus imagés, et dont la richesse des parures fait écho à la récente
découverte à cette époque des mines de diamants d’Afrique du Sud, qui fit la
renommée du joailler récemment installé 13, rue
de la Paix. Travaillant quelques fois en collaboration avec le couturier Worth,
la production du successeur, Louis Cartier, fera référence au néoclassicisme du
XVIIIe, s’interdisant de se laisser distraire par les avant-gardes, l’art
nouveau ou le style rocaille.
Évolution du style et de l’époque,
à l’occasion de l’exposition de 1925 des
Arts Décoratifs, Cartier expose 150 objets dits "modernes",
bijoux, accessoires et pièces d’horlogerie, au Pavillon de l’élégance, où sont
présentes les maisons de couture Callot, Jenny, Worth et Lanvin. Le noir et le blanc, gage d’élégance,
devient l’une des principales tendances du bijou Art déco.
Pourtant, l’engouement pour un certain exotisme se développe en parallèle de
cela. Véhiculé notamment par les créations des ballets russes de Serge
Diaghilev dont les Schéhérazade, Oiseau de Feu ou encore Spectre de la Rose révolutionnent l’art
de la danse et marquent leur époque, la
force des couleurs contraste avec la sobriété de l’Art Déco et les
motifs, réels ou fantasmés, en provenance d’Égypte, d’Inde, et d’Extrême-Orient
influenceront fortement la joaillerie comme ils influenceront la mode.
Joailler des rois et Rois des
Joailler, la maison ne manque pas à sa réputation lorsque Bhupindra Singh, Maharadja de Patiala, apporte chez Cartier
en 1925, plusieurs dizaines de milliers de pierres à sertir de façon
nouvelle, en respectant les formes traditionnelles indiennes tout en intégrant
les tendances Art déco, défi extraordinaire pour les ateliers parisiens. De
cette commande hors normes et tout à fait inédite, la pièce maîtresse sera la plus somptueuse parure de l’histoire de
la joaillerie : 2930 diamants, 2 rubis, et en son centre le diamant De
Beers, un diamant jaune de 234,65 carats, le 7e plus gros du monde. Exposé,
le collier, qui avait été bien endommagé, a été reconstitué, parfois avec
l’aide de quelques pierres de synthèse. Epoustouflant.
Autre
découverte merveilleuse de cette exposition, Les pendules mystérieuses, inspirées à Cartier par une
invention de l’illusionniste Robert-Houdin reprise par l’horloger Maurice
Couët, qui sont devenues l’une des créations les plus emblématiques de la
maison. Au départ, chacune d’entre elles nécessite
presque une année de minutie pour aboutir à une pièce d’art et de
joaillerie dont les aiguilles indiquent le temps et donnent l’illusion parfaite
de n’être reliées à aucun rouage. Une centaine seront faites de 1912 à 1930. On
ignora longtemps que chacune des aiguilles est solidaire de son propre disque
de cristal tournant, relié à une crémaillère dissimulée dans le cadre. Elles
nous fascinent à l’heure actuelle toujours autant.
Evolution du siècle, évolution de
notre époque, les têtes couronnées européennes
fidèles à la maison Cartier, laissent petit à petit place aux célébrités du
monde du cinéma ou aux riches héritières américaines qui furent parmi les
clientes les plus assidues de l’antennes new-Yorkaise de la maison et participèrent
à son succès planétaire que nous connaissons. De Wallis Simpson (1896-1986), duchesse de Windsor, qui aimait l’esprit des bijoux
fantaisie avec ses couleurs vives, et pour qui fut réalisé le premier bijou
panthère en 3 dimensions à l’actrice Elizabeth
Taylor (1932-2011), qui porta entre autres pierres, le Burton-Taylor (69,42 carats), en
passant par la Princesse Grace de Monaco,
qui appréciait les oiseaux, les caniches et les animaux de (basse-)cour pour
leur aspect sans doute moins formel, l’exposition se termine par l’extravagante actrice Maria Félix (1914-2002) célèbre pour son adoration
des serpents et crocodiles en bijoux et dont quelques unes des commandes
réalisées par Cartier sont exposées et nous fascinent de leur exceptionnel
savoir faire.
"Cartier. Le style et l’histoire", exposition conçue comme une
lecture de l’histoire du bijou, au travers des créations du joaillier, veut
nous montrer les évolutions que connurent les usages et les styles durant plus
d’un siècle de création. Mais bien plus que
l’aspect purement pédagogique ou artistique de celle-ci, ce qui en découle
également pour le visiteur incrédule
face aux cascades de diamants, aux milliers de carats, c’est sans doute l’admiration d’un savoir faire inouï,
l’éblouissement face à la somptuosité des pièces exposées, la prise de conscience également avec une certaine tristesse de la
disparition d’un certain art de vivre, ou toute activité étaient traitées
comme un art et ou tout objet pouvaient devenir objet d’art. Cartier a ainsi
joué un rôle important dans l’histoire
des arts décoratifs, ses créations, du classicisme du « joaillier des rois »
aux inventions radicales du style moderne, entre géométrie et exotisme, offrent
un témoignage passionnant sur l’évolution du goût et des codes sociaux.
Joaillerie, horlogerie, objets aussi pratiques que raffinés : Cartier a séduit les personnalités les plus
élégantes du XXe siècle.
A.
Cartier
- Le style et l’histoire
Jusqu’au 16 février 2014 au Grand Palais.
Ouvert tlj
de 10 à 20h, nocturne le mercredi soir jusqu’à 22h. Fermé le mardi.
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